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La confiance et l’humour

La confiance ne joue pas seulement le rôle de lubrifiant des échanges, elle est aussi un facteur d’élargissement du champ de la liberté en autorisant des modes d’expressions aux contenus les plus extravagants dont l’humour fait parti. L’humour consiste à présenter la dure réalité en dégageant les aspects plaisants et insolites. Cette forme d’esprit fait d’elle indirectement une arme de saine rébellion contre la culture.
L’empirisme des cultures est à l’origine de traditions dont le sens ne s’accorde pas toujours avec le fondement de la morale de la vie. Ces traditions entravent certains comportements avec des contraintes injustifiées qui gênent l’épanouissement individuel. Les cultures recèlent toutes des recoins qui sont comme des prisons qui étouffent la pulsion de vie. Celle-ci, sous pression, engendre un mal-être quand ce n’est pas une souffrance récurrente. Face à ces difficultés, la soumission, la révolte, l’activisme, l’action politique, les arts ainsi que l’humour sont des réponses possibles à la frustration.
L’humour est une forme de révolte pacifique. Il extériorise l’insatisfaction. Il est une expression dissidente de la culture. L’humoriste prend de la distance par rapport à elle, tord les mots, joue avec la langue, trahit le sens des comportements, bouscule les académismes, déforme les intentions, humilie les intouchables. Et malgré ces turpitudes, l’humour régale l’esprit non sans raisons.
En effet, à travers l’humour, c’est la pulsion de vie qui s’exprime. Cette énergie biologique affirme ainsi sa supériorité sur des règles culturelles entravantes. L’humour rappelle que la culture n’existe que pour servir la vie. En piétinant certaines platebandes inutiles de la culture, au nom d’un besoin secret de la vie, l’humour nous protège de la sclérose culturelle et de ses diktats. Il nous libère, au moins un instant, des barreaux qui nous retiennent prisonniers dans des cellules arbitraires que l’ignorance des hommes a construites au cours de leur histoire.
Mais l’humour ne dispose que d’une liberté conditionnelle, d’un espace de liberté limité. Quand il en sort, l’arme libératrice se retourne contre la vie. Quand l’humoriste attaque la vie plutôt que de la défendre, il n’est plus qu’un rebelle qui se trompe, un lâche qui racole une majorité contre des plus faibles.
Pour éviter de se laisser entraîner vers la trahison, les partenaires de rire d’un humoriste  doivent vérifier qu’ensemble, ils partagent les mêmes valeurs, celles de la morale de la vie. Pour que l’humour joue son rôle de saine rébellion, la confiance doit s’installer entre les participants.
Les grands humoristes ne nuisent jamais alors qu’ils maltraitent tabous, principes et valeurs. Ils osent transgresser les interdits, mais ils les bravent avec honneur dans une action imaginaire sans l’intention de nuire avec la complicité des participants. Les bons humoristes sont des gardiens de la liberté. Ils maîtrisent l’esprit de la culture de la vie. Le génie leur donne la capacité à sortir des rails de la culture. La grandeur d’un humoriste tient dans sa capacité à exploiter le delta de liberté qui existe entre la tradition et les frontières de la morale de la vie sans trahir la confiance qu’il inspire de ne pas déraper.
Le contenu de l’humour dans les sociétés souffrantes est un révélateur symptomatique des déficiences culturelles provoquées par une morale mal appliquée. Le nombre des humoristes dans une société peut témoigner à la fois d’une très bonne santé démocratique et paradoxalement, selon le contenu, d’un grand malaise social. En revanche, quand l’humour est absent, on peut craindre le pire. Un groupe ou une société sans humoriste révèle une culture fanatique, suspicieuse, en dissidence avec la culture de la vie. Quant aux individus sans humour, ils sont des êtres soumis, conformistes, de tristes esclaves d’une culture empirique dont ils sont prisonniers.



Le plaisir source d’énergie vitale

Après avoir décrit les conditions pour que les  échanges se réalisent avec un maximum de productivité, nous allons montrer qu’il existe une source d’énergie qui amplifie et intensifie les échanges. Comme toute source d’énergie, sa maîtrise est précieuse  parce qu’elle est un des secret de la vitalité.
Des préhistoriens ont longtemps pensé que le cerveau de l’homme s’était développé pour compenser la fragilité physique de cette espèce. D’autres, aujourd’hui, estiment qu’il est plutôt le fruit de la sélection naturelle par la sexualité. Le goût d’épater le partenaire convoité serait à l’origine d’inventions de comportements destinés à suggérer que l’individu séducteur était capable de répondre à tous les besoins et désirs du partenaire désiré. La préférence pour les qualités mentales supérieures aurait participé à la sélection des individus au cerveau le plus développé. L’espèce se serait lentement différenciée des animaux par l’accroissement du génie créatif au service du plaisir et de la séduction. Ainsi la recherche du plaisir serait le moteur du développement des capacités intellectuelles et mentales humaines.
Même si cette théorie ne fait pas l’unanimité, on observe de toute façon, que le plaisir est la motivation de toutes les activités humaines, des plus protectrices par la satisfaction des besoins fondamentaux aux plus destructrices par les nuisances à la vie qu’elles peuvent engendrer. Nous sommes organisés biologiquement pour éprouver du plaisir à protéger notre vie et tout ce qui contribue à la pérenniser. Lorsque la nuisance suscite du plaisir, nous sommes en présences de perversions culturelles, de troubles psychologiques induits par des traumatismes affectifs et des lacunes de l’éducation.
 Fondamentalement, l’existence des espèces résulte du rôle protecteur du plaisir. Chez l’espèce humaine, ce plaisir s’exprime notamment dans la pulsion qui pousse les parents à élever leurs enfants et le plus souvent à sacrifier leur vie pour eux indépendamment de toute foi religieuse. Ce plaisir va au de là de celui de la protection de leur propre vie. Ce comportement protecteur est inné, il s’observe chez les mammifères. Il n’est toutefois pas imperméable aux influences de la culture.
Toutes les actions qui vont dans le sens de la pulsion de vie engendrent du plaisir ou au moins un sentiment de satisfaction ou de soulagement. Le succès des donations et du bénévolat s’expliquent par ce besoin naturel d’éprouver du plaisir dans la protection de la vie en général par le don de soi. Le bénévolat n’est pas une forme d’héroïsme mais la simple recherche d’un plaisir naturel. L’entrave culturelle à la pratique bénévole qui s’exerce sur les citoyens dans notre culture de l’argent par la valorisation de la vénalité est une des origines de la souffrance contemporaine.
Certaines cultures traditionnelles, religieuses et aujourd’hui, la culture de l’argent orientent le plaisir vers la consommation mystique ou marchande. Ce plaisir atrophié limite les capacités protectrices des individus.
Le plaisir est le moteur de l’assouvissement des besoins fondamentaux. Mais les qualités protectrices du plaisir ne concernent pas seulement l’intégrité physique. Quand il ne nuit pas à la santé, le plaisir quelle que soit son origine, renforce le goût de vivre et devient une source d’énergie pour vaincre les obstacles nuisibles à la vie. Nier la valeur morale du plaisir protecteur, c’est mutiler l’être humain d’une partie de sa pulsion de vie.
Le plaisir ne garantit pas la moralité de son origine. Sa valeur morale se détermine par les conséquences respectueuses du projet de la morale de la vie.



Le plaisir et la souffrance

Quand la source d’énergie du plaisir est momentanément tarie, les activités de la vie quotidienne doivent extraire de l’énergie dans la souffrance. La souffrance agit comme un frein au moment où la volonté use son énergie pour avancer. Le plaisir au contraire génère de l’énergie quand au contraire, la souffrance l’épuise. Le refus d’utiliser la source d’énergie alimentée par l’espérance du plaisir abaisse le niveau de productivité de l’individu.
Toutefois, la souffrance s’élève au niveau d’une valeur morale quand ses conséquences protègent la vie. Elle doit être accepté pour pallier une inefficacité ponctuelle du plaisir. La volonté est alors appelée à la rescousse pour accomplir les efforts et les sacrifices que la protection de la vie exige. Aussi, quand on a le choix, la voie du plaisir vers un projet est moralement supérieure à celle de la souffrance dont la  productivité est généralement plus faible.
L’éducation au plaisir protecteur et à la souffrance positive élargit notre liberté dans l’action.  Elle invite à préférer pour soi et pour autrui la voie du plaisir quand le choix est possible. Trop souvent aujourd’hui on imagine que la réussite d’un projet est mieux assurée dans la souffrance. La culture judéo-chrétienne n’y est pas pour rien.



Le plaisir dans la culture judéo-chrétienne

 
Au cours de l’histoire, les inventions culturelles dont font partie les philosophies et les religions ont parfois utilisé le plaisir et la souffrance comme des outils pour un projet surnaturel quand ils n’ont pas été eux-mêmes des projets moraux.
Dans les cultures judéo-chrétiennes, la confusion courante entre sa vocation d’outil et celle de projet perturbe la sensation de plaisir qui s’accompagne très souvent d’un sentiment de culpabilité. L’origine de cette altération remonterait à Saint Paul.
Selon les écrits sélectionnés par les Pères de l’église, Jésus aurait protégé la vie terrestre en multipliant les pains et les poissons. Il aurait manifesté sa préférence pour la vie terrestre en ressuscitant un mort. Il aurait affirmé le bien fondé du plaisir en changeant de l’eau en excellent vin et en jouissant de la sensualité des soins d’une femme. Ce respect de la vie avec sa dimension hédoniste aurait été trahi par St Paul dont les épîtres révèlent un goût morbide pour la souffrance dont il légitime le prix à payer par la culpabilité d’un péché originel et l’espoir d’un petit coin de paradis.
Cette trahison a eu pour conséquence effroyable la justification de toutes les exactions physiques et psychologiques dont l’église fut l’auteur au cours de son histoire. Elle a utilisé la torture pour assurer sa domination au nom de la valeur rédemptrice de la souffrance. La « vie est une vallée de larme » affirme-t-elle. L’homme mauvais dés sa naissance, à cause du péché originel, trouverait dans la souffrance le moyen de se purifier.
Malgré l’évolution de sa doctrine, l’Eglise catholique perpétue encore aujourd’hui la suspicion à l’égard du plaisir. Sa réserve sur l’emploi du condom, en réduisant la sexualité à sa seule fonction de reproduction nie la valeur morale du plaisir.
Cette tradition masochiste qui proclame les vertus de la souffrance gratuite s’oppose à la définition morale du plaisir et de la souffrance dans la morale de la vie. Elle s’oppose à la conception d’un plaisir et d’une souffrance élevées au niveau de valeurs morales dès lors que leurs conséquences ne nuisent pas à la vie.
Cette rectification de la perception morale du plaisir est certainement l’un des défis d’une éducation et d’un enseignement évolués.



Le plaisir et l’échange

Le plaisir a trois origines et se réalise dans l’échange.
L’échange est un double flux inversé. À chacun des deux flux correspond un type de plaisir : celui de donner et celui de recevoir. La capacité à éprouver ces deux plaisirs est indispensable pour l’épanouissement de la personne. Un déséquilibre entre eux perturbe les échanges. Celui qui donne avec facilité, mais se sent coupable de recevoir, s’épuise et à son insu, réduit son flux donneur. De plus, il prive son entourage du plaisir de donner. Il s’ensuit des troubles individuels et collectifs. Que ce soit dans un sens ou dans un autre, le déséquilibre des échanges conduit vers une réduction de leurs quantités et de leurs qualités.
La troisième source de plaisir s’obtient en dérogeant à la règle du libre consentement mutuel. Certains l’éprouvent en prenant plutôt qu’en recevant. Ce plaisir porte en lui sa propre fin. En nuisant à l’entourage, il affaiblit le potentiel social et par réaction va susciter des forces individuelles et collectives dirigées contre son auteur.
Ce troisième plaisir est une régression culturelle. En prenant par la ruse ou par la force, il ravale son auteur au rang de l’animal dont il emprunte la caractéristique relationnelle, celle du rapport de force. Autant, le rapport de force est une composante structurante de la vie animale, autant il est dégradant dans la vie culturelle de l’homme. En effet, la force est incompatible avec les lois de l’information qui structurent la culture. La prééminence de la force sur la vérité anéantit toute production rationnelle. Elle perturbe le réseau informationnel constitué par les personnes reliées entre elle par la confiance. La capacité d’échange des personnes contraintes physiquement ou mentalement est réduite par l’inadéquation de l’échange forcée et est profondément perturbée par la souffrance  causée par la perte de la liberté. De plus, les échanges sont rendus plus difficiles après une agression par le ressentiment qu’elle génère.
L’éducation aux plaisirs respectant le libre consentement mutuel fonde les sociétés dont le projet est l’épanouissement de ses membres et sa pérennité.



Le désintéressement

Kant définit la morale  par le désintérêt et la bonne volonté, deux notions totalement subjectives. Cette définition accorde à la morale une irrationalité qui exclue son enseignement au sein de l’éducation républicaine. Cette réduction de la morale à la définition de Kant est certainement l’erreur qui risque, à terme, de ruiner la laïcité. En l’absence de l’éducation à ses valeurs, la laïcité voit son influence s’amenuiser au fil du temps aux profits des religions et des sectes au prosélytisme conquérant.
La morale est une construction rationnelle dont on ne peut nier la part subjective du désintéressement. Cette subjectivité est-elle un obstacle incontournable à une éducation nationale de la morale ?
L’action désintéressée s’observe chez les personnes responsables  qui mettent un point d’honneur à réussir un projet sans contrepartie matérielle. La fierté, l’honneur et le plus souvent le simple plaisir de réussir sont leur véritable motivation. Dans tous les cas, c’est l’amour de sa propre image alignée sur une référence personnelle ou sociale qui motive l’individu. Le désintéressement favorise la reconnaissance d’une société réelle ou imaginaire. Il est un facteur décisif d’appartenance. Il en est la preuve.
Ce désintéressement par sa nature subjective est le principal argument des opposants à l’enseignement de la morale de la vie et son éducation dans les institutions publiques. Cet obstacle pourrait être levé si on réservait l’éducation au goût du désintéressement à l’éducation familiale et à l’enseignement religieux. Il reviendrait aux institutions publiques d’enseigner toute la rationalité de la morale de la vie au même titre que les sciences de la vie.



L’éducation

Dans la nature, le rapport de force est un des facteurs sélectifs qui contribuent à la vitalité de la biosphère. Les plus forts l’emportent sur les plus faibles. En revanche, dans la sphère culturelle, si la force est aussi un facteur sélectif, cette sélection agit d’une façon inverse. Dans les échanges d’informations qui constituent les relations humaines, la force joue le rôle de parasite. La sélection par l’efficacité tend à éliminer les individus qui cherchent à imposer leur point de vue par la force. La volonté de domination par la force affaiblit le groupe au sein duquel elle s’exprime. La violence efface l’information en détruisant son support. En tuant un homme, en détruisant des ouvrages, des œuvres d’art, des monuments, on supprime l’information qu’ils contiennent, on anémie une culture dont dépendent l’épanouissement et la survie du groupe.
La pertinence de l’information est une vertu de la raison et non celle de la force. Cette dernière est secrétée par une pulsion de vie mal éduquée. La culture est le fruit d’un apprentissage. C’est une erreur que d’opposer la nature à la culture.
La culture n’est qu’une excroissance de la nature. Elle est un outil de protection supplémentaire qui s’ajoute à tous les systèmes biologiques qui protègent la vie humaine. Elle obéit simplement aux lois spécifiques qui régissent sa nature immatérielle. Ainsi le rôle de l’éducation n’est pas de soumettre la culture à la nature. Il est de veiller à ce que le sens de la culture ne s‘éloigne pas de celui de la nature. En orientant les instincts de l’homme vers le projet moral, l’éducation n’est plus un apprentissage masochiste. Il est celui de la libération des énergies en vue de l’épanouissement personnel. Loin d’être un refoulement, la maîtrise des instincts est une orientation maîtrisée de leur action dans un sens, finalement très naturel, puisqu’il est celui de la nature biologique. La fonction originaire de l’instinct est la survie. Sa maîtrise n’est que la poursuite de sa fonction par amplification de son efficacité.
La volonté des adultes d’éduquer les enfants, exprime un sens moral qui justifie les efforts qu’ils exigent de leurs progénitures. En leur apprenant très tôt la morale, l’enfant éprouvera plus tard du plaisir à l’appliquer comme une langue un peu pénible à apprendre mais si agréable à pratiquer quand elle sera maîtrisée.
Malheureusement, en France, l’éducation et l’enseignement sont dominés par un courant de pensée philosophique qui suspecte toutes les morales au point que prononcer son nom en publique est perçu comme une obscénité. Dans ce contexte, l’introduction de la morale à l’école est refusée. l’Etat se défausse sur la famille. Celle-ci devient un lieu de production d’inégalité morale dont la frontière dépasse celles des classes sociales.


 

La morale de la vie, une morale de la liberté

Si l’échange est le fondement de la vie, les règles qui les encadrent fondent la civilisation. La mission civilisatrice de l’éducation est à la fois de développer la capacité d’échange et d’apprendre à en maîtriser les règles. Elle y réussira en créant les meilleures conditions des échanges, par l’éducation au goût pour la paix au point que la violence inspire une profonde aversion. En apprenant à donner  et recevoir avec la même facilité, dans la lucidité, sans la naïveté de l’innocent et en traquant les troubles psychologiques qui perturbent l’équilibre de ces flux, elle produira des citoyens épanouis, productifs, créatifs et adaptables. Ceux-ci profiteront d’une liberté qu’aucune culture et civilisation n’a encore octroyée. Par la sensibilisation aux arts, le plaisir occupera une place centrale dans les relations humaines. Il sera une source de la vitalité sociale, un garant de sa pérennité.

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